La neige a fondu sur le Cantal.
Les
champs de blé se couvrent d’épis,
De
mai, les tièdes haleines,
Font
croître l’herbe dans les prairies.
Monsieur Dauban de Séveyrac
Dans
les environs de Barriac
Un
homme sans bruit et sans gloire,
Mais
qui s’entend à cultiver une ferme,
L’autre soir, revenant de Rodez,
Au
coin de la cheminée,
Avertit son vacher :
« entendez Capoulade, j’ai idée »
lui
dit-il, « de faire partir
mon
troupeau de vaches, lundi matin »
le
gendre de la Rouquaniole
qui
était samedi à Laguiole,
a dit
à François Maurel
qu’il
y avait beaucoup d’herbe à Servel.
De
toute façon l’heure est arrivée,
Et
l’herbe de jachère est achevée.
« Et
bien Maître ! » comme vous voudrez
lui
répondit le vacher
« lundi nous ferons ce voyage »
Et
aussitôt, sans perdre de temps,
Il
prépare son petit bagage ;
Il
range ses vêtements,
Il se
fait laver par Louise.
Trois
mouchoirs, une chemise,
Et son
pantalon de toile grise.
Il
envoie chercher par le facteur
Sa
montre chez l’horloger.
Depuis
plus d’un mois accrochée
Et pas
encore arrangée.
Puis
il se procure ce qu’il faut
Pour
fleurir son troupeau,
Pour
pomponner son bétail.
Avant
que l’aube blanchisse
Derrière les montagnes d’Aubrac
Et que
l’alouette ne chante,
Le
lundi d’après à Séveyrac
Se
faisait un fameux tapage
Qui
s’entendit de Barriac
Et des
maisons du voisinage :
Paumes, Laplagne, Crespiac.
Toutes
les vaches portant des sonnettes
Etrillées et pomponnées,
Et le
taureau enrubanné
En
quittant l’étable mugissaient.
Les
valets de ferme juraient,
De
tout côté les chiens aboyaient,
Et les
coqs au perchoir chantaient
En
entendant un pareil sabbat.
La
Demoiselle et la Pouponne,
Et
la Chasseresse et la Petite,
Portent sur la tête un drapeau,
Attaché et dressé vers le ciel.
L’Hirondelle et la Rodeuse,
La
Capitaine et la Mouchetée,
Une
houppe de plumes de coq.
La
Caille, l’Armée, la Mure
Et
la Colombe et la Bergère,
Au cou
ont chacune une sonnaille.
Mais
la livrée la plus belle,
On l’a
gardée pour la Pomelée.
La
Pomelée, la fleur du troupeau.
Est
douce comme un agneau ;
Elle a
les cornes bien relevées,
Le
front large, le pied petit,
Le pis
plus fin que du velours,
Et
quand elle est bien étrillée,
Elle
luit comme si elle était dorée.
Le
vacher en est amoureux ;
Il lui
passe la main dans le dos
La
flatte, l’appelle coquine
Et de
temps en temps … lui fait des baisers.
Oui la
livrée la plus belle,
On l’a
gardée pour la Pomelle.
Elle
porte sur la tête trois clochetons
Avec
des grelots, des sonnettes.
Beaucoup de rubans, beaucoup de sonnettes,
Et
d’autres gentils ornements.
Donc
les vaches fleuries,
Et
levant en marchant la tête,
Joyeuses et fières à ne pas le croire
D’être
si bien parées,
Sur le
chemin s’en vont hardiment
A
Bozouls, elles franchissent avec agileté
Dans
la gorge étroite et profonde,
Un
ruisseau limpide comme de l’argent.
Elles
arrivent bientôt à la Rotonde.
Elles
aperçoivent le château d’Aubignac,
Bâti
par Monsieur Passelac
Et qui
depuis a changé de Maître.
Elles
traversent toute cette campagne,
En
allant toujours au grand pas.
Mais
au coude que fait la route,
D’où
la montagne se voit toute entière
Au
tournant de Najac
La
Blaireaude, l’Amande, la Poule
Arrêtent leur marche un moment,
Et
tournent leur naseau vers le vent.
De la
circée et du serpolet,
D’Aubrac descendent les parfums,
Et sur
le grand chemin, les vaches,
Les
pauvrettes mugissent de faim.
Quand
arrivent quelques bouffées de vent,
Qui
s’est par là-haut embaumé,
En
passant sur le gazon en fleur.
Le
vacher : Jean Capoulade,
Qui
est né au hameau de Malet,
Cherche de l’œil sa petite maison
Un peu
au dessus de Curières.
Sur un
petit plateau fertile en fougères,
Devant
la maison il y a un petit pré.
Un
petit champ qui bien travaillé
Quand
il tourne produit du bon blé.
Une
devèze grande pour donner à paître
A une
paire de vaches ou de taureaux ;
Sur
le champ il y a quatre ou cinq hêtres,
Et
dans le jardin un joli sorbier.
Et
voilà décrit tout le petit bien,
Tout
le domaine de Jean.
Là
tous les ans, la Marguerite
Qui
est originaire de La Bastide,
Lui
donne un nouvel héritier.
Jean
ne connaît pas encore le dernier.
Il
l’embrassera demain.
Heureux à cette pensée,
Il
fait trois bonds, pousse un cri de joie.
Et de
son talon d’alizier,
Pousse
la troupe ensommeillée.
Tout
le long des haies fleuries
Et sur
la route ombragée,
Parmi
les châtaigniers et les chênes,
Les
vaches cheminent tranquillement
En
faisant sonner leurs clochettes.
Après
avoir marché un certain temps,
Elles
arrivent au faubourg d’Espalion.
Déjà
de grands troupeaux de vaches,
De sur
le Causse sont descendus.
Celui
de Plaumes, celui d’Aubignac
Un
autre venant du côté de Gabriac.
Celui
de Germain de Cousserguettes,
Et
celui de Grandet, de Vayssettes,
Le
fermier de Monsieur Privat.
Le
troupeau de Monsieur Colrat
Est le
plus beau de tous.
Mais
en voici un, voyez !
Qui
arrive sans bruit par ici.
Pas de
plumet, pas de sonnaille,
Elle a
un drapeau noir cette maison.
Elle
est en deuil, la maîtresse hélas,
Est
décédée y a pas longtemps,
Laissant trois ou quatre petits enfants
C’est
ce qui est le plus malheureux.
Quand
elle comprit qu’elle allait mourir,
Par la
femme qui la veillait,
Se fit
apporter le plus jeune de ses enfants
Et de
sa bouche agonisante
Lui
fit un dernier baiser.
La
pauvre défunte était une Sainte,
Elle
donnait aux pauvres beaucoup d’argent.
Pour
les domestiques elle était bonne
Aussi
tout le monde l’aimait.
Le
vacher chemin faisant,
En
pleurait quand il y pensait,
Et moi
je pleure en le contant.